Devenir un bon enseignant
Mardi dernier, première journée de l’année avec les stagiaires de physique-chimie. A la pause, un stagiaire vient me voir, l’air ennuyé « Je ne comprends rien ! Tous les formateurs nous disent qu’il faut faire “ça”, sauf que le “ça” n’est jamais le même ! Ca dépend des formateurs. Comment on fait nous ? ». Je suis à la fois tombée des nues et j’ai trouvé la remarque très intéressante sur ce qu’elle indique sur la difficulté de devenir un bon enseignant en 2017.
Ma formation portait sur l’évaluation (on ne se refait pas). Après un (trop) petit passage de docimologie, je passe sur « Visible learning » de Hattie. Le message principal : en éducation, on sait ce qui marche et ce qui marche moins bien au niveau des résultats des élèves. En tant qu’enseignant, notre rôle est de passer le plus de temps et d’énergie possible sur ce qui marche pour être efficace. Puis je projette un tableau (un peu vieux maintenant) de facteurs de réussite des élèves selon Hattie.
On relativise bien sûr le côté très "quantitatif déconnecté" d’une telle liste et j'insiste bien sur le côté "regardons uniquement les grandes tendances". Ma deuxième remarque juste derrière, c’est que la formation des enseignants n'est pas très bien classée dans ce tableau, contrairement au développement professionnel des enseignants. Je vous laisser écouter ce que dit François Muller dans Nipédu (podcast chéri) à propos de ce fameux développement professionnel. Je leur explique donc que, même s’ils sont en « formation », mon rôle ne sera efficace que s’ils vivent cela comme une aide au développement professionnel.
Ensuite, on remarque que, parmi les choses qui marchent, la majorité sont liées à l’évaluation formative. Et que donc l'apprentissage efficace a lieu surtout APRES l’évaluation. C’est donc bien dommage de mettre l’évaluation en fin de séquence non ? J'avais donc l'impression d'être très loin de la séance d'évangélisation et des "il faut".
Imaginez donc ma surprise à la remarque du stagiaire. Comment pouvait-il juste entendre « il faut mettre l’évaluation au milieu de la séance » après tout ce discours ?
Après réflexion, je me dis que cette omniprésence du « il faut » vient, entre autres, de la vision que l’on a de l’enseignant. Pour la plupart des gens, y compris les stagiaires, l’enseignant est un technicien. Pour faire apprendre les élèves, il faudrait suivre des « procédures » (il faut faire de la démarche inductive, il ne faut pas faire de méthode globale, il faut faire trouver les réponses aux élèves, il ne faut pas faire de par coeur). Je pense que cette vision est renforcée par la préparation du concours de laquelle ils sortent. Quoi de plus « il faut, il ne faut pas » qu’un concours ? Le problème, c’est qu’en éducation, contrairement à un concours, il n’y a pas de bonne réponse, pas de bonne procédure. Un enseignant, pour moi, ce n’est pas un technicien, c’est un expert. C’est celui qui, face à une situation va pouvoir choisir dans sa mallette pédagogique l’outil adapté pour l’élève considéré au moment en question. Devenir un meilleur enseignant ce n’est donc pas gagner en technique sur un seul outil mais au contraire étoffer sa trousse à outil et développer son expertise à choisir le bon outil.
Cette confusion entre technicien et expert est à la base de beaucoup de discours médiatiques sur la pédagogie. A force de caricaturer le débat, tout se passe comme si la promotion d’un outil empêchait les enseignants d’utiliser les autres. Imaginons le même débat dans le monde médical. Quelle serait la place d'un chirurgien capable de ne pratiquer qu’une seule sorte de procédure, quelque soit le patient ou la pathologie ? Ce qui fait un bon chirurgien expert c’est qu’il maîtrise plusieurs techniques différentes et surtout qu’il adapte la bonne technique à la bonne pathologie. Tout en sachant s’adapter en cours de route s’il voit qu’il fait fausse route. L’enseignant se doit de maîtriser plusieurs techniques et de les utiliser au bon moment. Méthode globale ou syllabique ? Cours dialogué ou classe inversée ? Méthode inductive ou déductive ? Par coeur ou raisonnement ? La réponse est toujours « les deux, suivant les moments et les élèves ». Pour cela, il est indispensable de connaître et maîtriser les deux outils et leurs spécificités.
Cette expertise de l’enseignant est également reconnue par l’Education Nationale. Lorsqu’on regarde les épreuves et les rapports de jury du CAPES et de l’Agrégation interne, s’adressant donc à des enseignants déjà en exercice, on remarque que le jury n’attend rien d’autre que des enseignants experts. Le but n’est pas de montrer toute l’étendue de son habileté avec un outil mais au contraire d’imaginer tous les outils appropriés et de décrire en quoi ils sont appropriés. On est bien loin de la « leçon » décontextualisée.
Formation aux concours internes, formation des stagiaires externes, formation continue, mon but en tant que formatrice est le même : aider les enseignants à devenir expert. Sortir des « il faut », ce qui est peut être dur après une préparation à un concours. Pour cela, je les aide à développer une attitude réflexive par rapport à ce qu’ils font en classe, à remplir leur trousse à outils pédagogiques et je leur montre où aller chercher des ressources pour continuer à s’outiller et maîtriser de mieux en mieux ces outils. En n’oubliant pas de leur dire que devenir un bon enseignant prend du temps, et certainement pas moins de 10 ans !
Références :
Nipédu n°83 développement professionnel des enseignants et les ressources sur le blog de François Muller
Rapport de jury CAPES Interne physique-chimie 2017